Le petit roi de la montagne
devenu ministre

Le petit roi de la montagne
devenu ministre

Une leçon de
psychagogie des valeurs

Je n’ai pas connu le ministre Bernard Drainville lorsqu’il était à l’école primaire, mais ce fut plutôt le cas au moment où il terminait ses études secondaires. Pas une connaissance intime, non; il faisait simplement partie d’un groupe d’amis de mon fils aîné. Qu’il ait pu défendre sa situation de roi de la montagne, je n’en doute absolument pas, lui qui a été élevé sur une ferme de l’île voisine de celle que j’habite. Il a dû même risquer beaucoup plus de gamineries encore dans la grange familiale. En tout cas, personnellement quand j’étais enfant, j’ai beaucoup pris de risques dans la grange d’un voisin, y compris ses réprimandes quand il s’en rendait compte!

(Photo : Zoe L. Sirois / Cinq minutes pour jouer.)

Sur quoi le ministre nous a-t-il fait réfléchir récemment? Sur les codes de vie des écoles primaires du Québec. En témoigne l’éditorial du journal Le Devoir du 2 octobre 2024, signé par Louise-Maude Rioux Soucy. Sont pris à témoins les comportements suivants : « lancer des boules de neige, porter un ami à cheval sur son dos, tirer ce même ami dans une luge, sauter en se balançant, tourner sur soi-même, faire des acrobaties, chasser des insectes ou cueillir une fleur pour la mettre dans sa poche ». Si vous avez vu le film Monsieur Lazhar (Philippe Falardeau, 2011), vous aurez peut-être remarqué que cet enseignant, arrivé comme un intrus en éducation, s’étonne du fait qu’on défende à ses élèves de jouer au Roi de la montagne. Aujourd’hui on sait que même la Société canadienne de pédiatrie s’en étonne tout autant1. « Le jeu risqué , explique [la SCP], constitue une réponse à plusieurs problèmes affectant les enfants d’aujourd’hui. Le stress, l’anxiété, le mal-être, l’embonpoint, la sédentarité », énumère Mme Rioux Soucy.

C’est la suite de l’éditorial qui attire notre attention sur la psychagogie des valeurs dont l’approche découle de la théorie de Gilbert Durand sur les structures anthropologiques de l’imaginaire (SAI). Dans son opuscule intitulé L’imagination symbolique (édition PUF, 1964, pages 98-99), il écrit : « les anthropologues retrouvent dans la classification des jeux deux séries ’inconciliables’, la série agonistique (agon = compétition réglée) et la série ilinxique (ilinx = tourbillon) en passant par les moyens termes de l’aléa (chance) et de la mimicry (simulacre). Cette classification binaire des jeux semble annoncer singulièrement celle des patterns essentiels des institutions adultes et des cultures.2 » L’être humain, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, joue, compétitionne, saute des obstacles, chante et danse, joue aux billes et fait du théâtre… Tout cela exprime ses humeurs, exerce ses muscles, crée des relations humaines. Tout cela, au fond, crée l’équilibre imaginaire entre les différentes forces intérieures et extérieures de l’être humain. Tout cela construit et nourrit un équilibre systémique que prône la psychagogie des valeurs. Le savant anthropologue Gilbert Durand l’a affirmé au milieu du siècle dernier. La Société canadienne de pédiatrie (SCP) nous le rappelle autrement. Je cite à nouveau l’éditorial du Devoir : « ‘On est en train de faire des enfants qui, à 10, 12, 14 ans, ont perdu des habiletés motrices que les enfants de 7, 8 ans avaient il y a 30 ans’, s’inquiète la psychoéducatrice et autrice Solène Bourque dans le dossier de La Presse. » Et encore : « C’est le danger qu’il faut brider, pas le risque. Purs produits d’une époque qui aime tout prévoir, surtout le pire, nos petits et grands enfants ont perdu l’habitude du jeu risqué, au point que cela compromet aujourd’hui leur développement. »

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  1. Société canadienne de pédiatrie (2024), Le développement sain de l’enfant par le jeu risqué extérieur : un équilibre à trouver avec la prévention des blessures, section Documents de principe, site Internet de la SCP, https://cps.ca/fr/documents/position/le-jeu-risque-exterieur.
  2. DURAND, Gilbert (1964). L’imagination symbolique, Édition PUF, pages 98-99.

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