Ouverture en éducation
De l’éducation et autres petits fruits psychagogiques de saison
Dans ma vie professionnelle en éducation, j’ai semé l’approche psychagogique il y a longtemps déjà, mais là, je crois que le moment de la récolte est venu.
Dans notre jardin, nous avons aussi planté il y a quelques années plusieurs variétés de petits fruits, imaginant déjà les futures confitures… Cette année, avec le printemps hâtif, c’est soudainement la plénitude : camerises, cerises, framboises, cassis, gadelles, groseilles, mûres et même amélanches sont fin prêts pour la cueillette en même temps! Récolter avec autant d’abondance les fruits de ses efforts et en être tout autant subjuguée d’émerveillement, cela je ne l’avais pas imaginé.
(Photos : Suzanne Blouin.)
Les fruits de la psychagogie en éducation? Il est temps que je commence à vous en parler de manière plus vivante! Après tout, c’est par là que tout a commencé pour moi, en 2009, lors de ma première rencontre avec Raymond Laprée lors d’un congrès. Je me demandais : comment animer au sujet des valeurs de manière professionnelle? Comment m’assurer que ce que je fais rejoint vraiment les gens, que ça porte fruit, quoi! Je ne me doutais pas à ce moment que j’entreprenais la quête la plus importante de ma vie, et j’ignorais tout le temps que j’y consacrerais… Maintenant, après presqu’un an de vie de PSYCHAGOGIE.ca, je sens venu le moment propice pour commencer à vous partager de l’intérieur une petite partie des fruits de mon expérience de psychagogue en éducation depuis la publication en ligne de mon mémoire. Peut-être est-ce un peu à l’image de cette attention délicate en moi qui m’incite à cueillir les petits fruits qui poussent dans notre jardin uniquement au temps de leur pleine maturité, il y aurait semble-t-il un temps favorable pour goûter à la quintessence de toute chose.
Nous sommes à la fin juin. C’est la saison des premiers petits fruits et tout le personnel éducatif a pu récolter le produit des efforts pédagogiques de l’année scolaire qui se termine. Dans les écoles, boîtes et bacs sont partout dans les corridors : le personnel enseignant passe une journée ou deux ou trois à « faire son ménage de classe » après le départ des élèves en vacances. Ainsi, à cette époque de l’année, chacun, chacune se départit de ce dont il n’aura plus besoin pour faire de la place à l’année prochaine, préparer le lieu de croissance pour les autres élèves qui viendront à leur tour les regarder, les écouter, mais aussi les interpeller à cause de leurs grands besoins, les surprendre avec leurs talents cachés, mais surtout les aimer et être aimés pour pouvoir apprendre et grandir. Les personnes qui œuvrent dans les écoles et accompagnent les jeunes chaque jour ont, je tiens à le dire, toute mon admiration. Le rôle de guide qu’elles incarnent, voire de maître au sens noble du mot a une importance capitale : elles facilitent le passage des élèves à un degré plus élevé d’humanité, justement, ce qui demande force délicatesse et persévérance au quotidien, un amalgame de qualités parfois contraires.
J’arrive et me stationne près de cette école où je suis intervenue toute l’année dans le but de documenter l’expérience psychagogique de certaines enseignantes. La direction m’a demandé de préparer et d’animer une activité pour le bilan de l’année de l’équipe-école.
C’est un milieu effervescent où j’ai eu le privilège immense d’initier le personnel éducatif à la théorie de l’imaginaire de Gilbert Durand et à l’art de vivre en cohérence avec soi qui en découle. Quelques membres de cette équipe ont choisi de faire le saut et intègrent la psychagogie pour leur propre équilibre de vie d’abord, puis comme approche éducative afin de vivre les valeurs de l’école pour vrai au quotidien avec leurs élèves, que ça soit inspirant, que ça soit signifiant, en somme que ça donne du sens. Je les appelle mes « enseignantes psychagogues ».
Donc, je me stationne et, en ouvrant la porte de ma voiture, je remarque la présence de deux objets. Je sors mon cellulaire pour les photographier en vue de les intégrer à ma présentation visuelle sur la transition scolaire pour le personnel.
Ces objets représentent justement la symbolique que j’avais choisie pour rendre accessible le sens de cette période de l’année où le ménage n’est pas que matériel. En leur présentant, je propose aux membres de l’équipe-école de « faire le ménage » de leur propre expérience éducative. Ces objets symboliques jouent à plein leur rôle de catalyseurs de sens pour ceux et celles qui vont bientôt tourner une autre page avec tous les défis que cette immense profession comporte : devoir atteindre des objectifs d’apprentissage avec des élèves de plus en plus carencés à différents niveaux et ce, dans un monde où l’air du temps se fait plutôt diurne et donc la pression de performance omniprésente; nourrir le lien d’attachement à l’élève sans « perdre » le précieux temps dédié aux contenus académiques; persévérer de part et d’autre du pupitre même s’il y a de ces jours où c’est plus difficile que d’autres d’éduquer ou de se faire éduquer.
Vous vous demandez quels sont ces objets que j’ai photographiés en sortant de ma voiture? Un bac de recyclage et une boîte à compost, tout simplement.
J’ai mis l’image du composteur au tableau. Elle représente une invitation à y déposer symboliquement les questions de l’année restées en suspens, les émotions ravalées entre deux interventions, les espoirs sacrifiés, les valeurs peut être oubliées sous l’égide des obligations et du temps fuyant. Partir cette année et repartir l’an prochain avec le cœur léger et ouvert nécessite une opération de compostage des faits marquants, de leur transformation en faits porteurs de sens. Cela prend un certain temps et, le temps venu, on pourra alors utiliser ce « compost existentiel ». Il y a des fruits qu’on ne peut pas manger carrément, les accidents de parcours les ont trop abîmés, c’est la vie. Vaut mieux alors leur donner une deuxième chance de nourrir le monde en devenant, tranquillement, le compost dont l’enfouissement à l’automne, incognito, préparera les festins goûteux de l’été suivant.
Les objets symboliques permettent aux membres de l’équipe de faire le passage vers la prochaine année et cela, et c’est là le plus important, sans reléguer aux oubliettes une partie plus vulnérable d’eux-mêmes, d’elles-mêmes.
Au fond, les valeurs
Dans la salle du personnel, l’ambiance est au partage, même si identifier ses éléments à composter ne va pas de soi. On se questionne sur les grands besoins de relation et d’écoute des élèves — il faut les voir se pointer en file indienne devant le bureau de l’enseignante simplement pour raconter à tour de rôle un fait qui nous semble, à nous adultes, bien divers et secondaire, alors qu’au primaire, il y a tant à faire et tant à apprendre dans une seule journée de classe! On se demandait comment ne pas se laisser engloutir, comment doser la présence gratuite pourtant tant réclamée. Voilà ce qui va composter tranquillement pendant l’été.
Plus tôt dans la démarche, les enseignantes psychagogues ont partagé les impacts positifs de bienfaits des idées qu’elles avaient eues et mises en action pour accompagner leur classe en se mettant à l’écoute de leurs propres valeurs et aussi de celles des élèves, en profondeur. Pratiquer l’écoute et la patience collective lors du conseil de coopération, adapter l’idée d’une autre enseignante en arts plastiques et laisser les élèves produire un immense « arbre à valeurs » de leur cru, les inviter à créer le portrait humain de Madame Démo Kratie… Bien oui, à travers ces moyens librement choisis par l’enseignante, la psychagogie en éducation, c’est se brancher au niveau profond de ce qui fait sens pour soi, pour l’élève, dans le moment présent, sachant que l’imaginaire regorge de créativité pour offrir au bon moment le fruit réconfortant, en différer la dégustation lorsque nécessaire et surtout soutenir le processus de l’élève dans cette découverte et la culture de ses propres valeurs. Parce que c’est des valeurs que nous avons aussi finalement parlé, de ces fleurs particulières que chacune choisit avec soin, et qui pourront éclore lorsque le ménage du terrain éducatif aura été accompli, pour soi, en vue d’élever toujours et encore, l’élève.
Pendant que nous parlons, trois enseignantes se lèvent et quittent la salle pour aller dans le corridor. Besoin de discuter calmement? À la fin de la rencontre, j’apprends le vrai motif. Avant de quitter, une des enseignantes tient à partager au reste de l’équipe l’importance de ses valeurs de persévérance et de douceur dans son rôle éducatif. Malgré une certaine gêne à s’ouvrir ainsi en milieu professionnel, elle tient à expliquer à ses collègues à quel point, cette année, ses enjeux personnels — elle cumulait les rôles scolaire, parental et étudiant en apprentissage d’une cinquième langue — avaient masqué sa personnalité habituellement joyeuse et innovatrice. Elle leur dit que ses précieuses valeurs reviendraient, que ses collègues auraient la chance de la connaître sous son vrai jour. Les autres l’écoutent. Le cœur ouvert, plusieurs semblent opiner en silence : « Moi aussi. » Une fois la rencontre terminée, celle qui est allée jaser dans le corridor me tend un post-it avec son mot-résumé de la rencontre : libération. Je ne sais pas ce qu’elle a mis au compost, mais les deux enseignantes psychagogues qui l’accompagnaient dans le corridor semblent fort heureuses pour elle. Ça goûte bon pour chacune et pour moi aussi. Nous ressentons l’émerveillement en abondance.
À suivre
Il était temps que je vous en parle. Les fruits sont mûrs. Il ne faut pas les laisser se gâter, c’est en plein la saison pour les savourer! Ce n’est qu’un début pour la psychagogie des valeurs en éducation. Elle aura, nous le souhaitons vivement, une très longue vie. Nous aurons l’occasion d’y revenir, notamment avec les membres de notre équipe qui ont aussi de très belles histoires psychagogiques à vous raconter, Sabrina Dubé, une enseignante psychagogue de la première heure et François Mireault, un aspirant psychagogue qui vient tout juste de se joindre à nous.